Lola
Premier film et premier bijou. Nous sommes en 1961 et la nouvelle
vague vient juste de démarrer, A bout de souffle est sorti en 1960, les 400 coups en 1959. Godard a présenté son copain Jacques Demy au producteur De Beauregard qui va financer
Lola (comme le raconte Agnès Varda dans Les plages d'Agnès). Le film est totalement inséré dans son époque : Demy y paye un tribu direct à Max Ophuls auquel Lola est
dédicacé (en souvenir de Lola Montés ?), l'actrice Elina Labourdette renvoie au cinéma de Bresson, le directeur de la photo (Raoul Coutard) est celui d'A bout de souffle, le
personnage principal masculin de Lola dit qu'il avait un seul ami , Michel Poiccard, qui s'est fait descendre (A bout de souffle encore !), etc...
A la fois dans son époque donc, et déjà porteur de tout l'univers Demy. Dialogues ciselés, mise en scène élégante et virtuose, importance des femmes.
Marc Michel joue clairement un alter ego de Demy, désanchanté mais/et enthousiaste. Mais ce sont surtout les personnages féminins qui emplissent le film. Lola d'abord, extravertie, légère, dont
on se dit que le destin va être tragique et puis non, car Demy à l'art de la pirouette heureuse (ou qui semble heureuse pour être plus précis), Cécile ensuite, qui est Lola jeune, et enfin la
mère de Cécile, qui est Lola plus vieille, ou disons une autre Lola qui aurait évolué différemment si les circonstances de la vie s'y étaient prêtées (elle fut danseuse comme Lola).
Le film entrecroise les destins, comme Demy savait le faire, les personnages se croisent sans se voir, il échangent ou répétent les mêmes répliques ("on part pour Marseille, on arrive en
Argentine"), traversent les mêmes situations (Cécile et le soldat revivent à la fête foraine ce que Lola, qui s'appelle en réalité Cécile, a vécu avec Michel). Et à la fin tout le monde part, ou
veut partir, d'une façon ou d'une autre à Cherbourg.
Le film donne une double impression : celle de pétiller irrésistiblement comme du champagne, et celle d'être parfaitement contrôlé. A certains moments il devient solaire par la grâce conjuguée du
jeu d'acteur, de la mise en scène et de la photo. C'est le cas quand Anouk Aimée et Marc Michel tourne autour du passage Pommeraye, lors de la fête foraine ou lorsque Lola chante.
Nantes est enfin magnifiquement filmée (les grues du port, la place Graslin, le Katorza qui est toujours là 50 ans après), ville ouverte, où chacun rêve de partir. Le temps qui s'écoule est filmé
de façon sensible, alors que le temps de narration est court (3 jours), il donne l'impression de voir des destinées entières se nouer et se dénouer.
Lola et Roland Cassard reviendront dans d'autres films, car Demy, comme Balzac, conçoit son oeuvre comme un tout.
Tout l'univers de Demy est présent dans Lola, mêlant comme nul autre légéreté et gravité.
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