Des hommes et des dieux
Si Des hommes et des dieux ne faisait "que" montrer que les
hommes sont frères, que la bonté est souveraine, que l'islam et la religion chrétienne sont deux rameaux d'une même branche, il ne serait qu'un film pontifiant dont les esprits cyniques
pourraient se gausser : "les mauvais films sont pavés de bonnes intentions", vous connaissez le discours.
Xavier Beauvois nous emmène bien plus loin que ça. Ce qu'il nous donne à voir, c'est l'itinéraire collectif et individuel de personnages placés dans une situation exceptionnelle : accepter on non
de mourir, collectivement, ou pas.
En effet, une des grandes réussites du film est de nous montrer comment le sentiment d'inéluctabilité grandit de façon irrémédiable : les neuf moines savent qu'ils vont être tués. Les seules
questions sont : quand, et par qui. A partir de ce moment, chacun suit une voix qui lui est propre : crise de la foi, assurance débonnaire, doute moral, hésitations métaphysiques, dureté
éprouvée, fatalisme tranquille. Au-delà de ces destinées individuelles, qui seraient déjà à elle seules palpitantes, le film ajoute une dimension de dynamique collective qui le projette vers un
niveau encore supérieur : comment chacun interagit avec l'autre ? Quelle influence a réellement frère Christian sur sa petite troupe ? Ces aspects sont très subtilement exposés, notamment par des
dialogues entre frères d'une rare intensité dramatique.
Il y a une troisième dimension au film qui est métaphysique, et qui renvoie chacun d'entre nous à sa propre condition. Je pense que c'est cette dimension qui va assurer au film un grand succès.
Les questions que se posent le moines sont celles que nous pouvons tous nous poser : quel est mon rôle sur cette terre, où et comment puis-je être le plus utile, où est le bon et le mauvais, où
est le sens ? Comme le dit en substance un des moines les plus modestes, partir ne ferait pas sens, ça ne ressemblerait à rien, et finalement ce n'est
même pas une option. La conséquence de cette magnifique interrogation rend presque compréhensible à un mécréant comme moi, les rites religieux catholiques les plus emblématiques, comme
l'eucharistie. Frère Christian l'explique dans une tirade un peu complexe mais lourde de sens : l'attitude des moines incarne le message d'amour de Jésus
sur cette terre.
La mise en scène est académique (comme le lance stupidement, comme une insulte, Murat dans Télérama), mais bien menée. Le jeu sur les oppositions sonores est superbe, l'intérieur du monastère est
toujours calme et serein, le contraste avec les évènements de l'extérieur étant particulièrement frappant.
Les moines gagnent une bataille acoustique contre un hélicoptère, à l'image de la bataille spirituelle qu'ils remportent sur la peur et la barbarie en restant à Thibérine. Un film qu'on
n'oubliera pas de sitôt.
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