Exposition Kubrick à la Cinémathèque
Visiter une exposition sur Kubrick, c'est un peu comme imaginer la musique de Mozart en regardant un piano.
Cela ne donne un aperçu que très lointain du génie de l'artiste et des qualités de son oeuvre (rythme, catharsis, mouvement...).
On se sent donc archéologue lorsqu'on pénètre dans l'exposition, muni de sa truelle conceptuelle et de son petit marteau mémoriel, empli de la curiosité malsaine et agréable de celui
qui va pénétrer dans un tombeau jusque là inviolé.
Premier choc : les objets de tournage. Leur matérialité brute s'impose à nous et ils fonctionnent comme des madeleines de Proust. Ainsi, les robes des petites filles de Shining, exposées dans une vitrine bizarrement éclairée, glacent le sang.
Deuxième choc : les objets utilisés par Kubrick pour préparer ses tournages. Ils montrent avec une évidence incontournable que le cinéaste était un maniaque obsessionnel de premier plan, comme on en voit peu. Photo de repérage où le cadrage est indiqué au millimètre près, plan d'une rue pour Eyes wide shut sur lequel Kubrick a scrupuleusement indiqué le type et le nom de chaque magasin, maquette de la salle de commandement de Docteur Folamour ou du labyrinthe de Shining, tout est minutieusement préparé et aucune place ne semble laissée au hasard.
Troisième choc : les très belles salles consacrées aux films non tournés, aux rêves de films. On découvre ainsi les décors d'AI (finalement réalisé par Spielberg), les essais de costume de l'actrice principale pour Aryan papers, et surtout le matériel préparatoire pour ce que Kubrick disait devoir être (la modestie ne l'étouffait pas) le plus grand film jamais réalisé, son Napoléon. Il faut voir cet immense papier ou chaque petit carreau de 5 millimètres représente 72 secondes d'un film qui devait durer pratiquement 4 heures, avec indication pour chacun d'entre eux de la scène concernée. Ou le meuble qui contient des milliers de petites fiches colorées rassemblant les notes que Kubrick prenait sur Napoléon. Vertigineux, inquiétant.
Quatrième choc : l'évidence que Kubrick sentait parfaitement son époque. A la fois pour la heurter (Docteur Folamour en pleine guerre froide, Lolita et Orange mécanique censurés dans plusieurs pays) ou la devancer (les innovations technologiques comme cet objectif inventé pour filmer les scènes éclairées de simples bougies dans Barry Lyndon, les photos magnifique du photographe Weegee, l'implication de grandes marques dans le design de 2001, l'Odyssée de l'Espace).
L'expo ne donne donc pas à « sentir » les films, mais en projetant leur reflet intellectualisé sur l'écran de notre mémoire, elle nous donne envie de nous replonger dans l'oeuvre, histoire de vérifier que cette précision d'horloger engendre bien au final l'émotion dont on a gardé le souvenir.
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