Festival de Cannes 2023 : un palmarès presque parfait
Palme d'or : Anatomie d'une chute, Justine Triet
C'était pour moi le choix le plus judicieux, et simplement le meilleur des 47 films que j'ai vu à Cannes. Anatomie d'une chute fait partie de ces rares oeuvres qui éblouissent par la pertinence de tous leurs choix, de la mise en scène au montage, du scénario à l'interprétation. C'est de plus une Palme d'or qui est promise à un énorme succès public à mon avis, ce qui est une excellente chose pour le cinéma et le Festival.
Grand Prix : The zone of interest, Jonathan Glazer
Donné gagnant par beaucoup jusqu'au dernier moment, le film du britannique vaut à mon sens surtout par son concept : juxtaposer l'horreur (sans jamais la montrer) à la "normalité" de la vie de famille du chef du camp d'Auschwitz. Je n'ai pas été convaincu par le dispositif adopté par Glazer qui doit s'échiner à semer quelques détails dans son film pour dire l'indicible, notamment par un travail sur le son impressionnant. Cette démarche relève plus pour moi de celle d'un plasticien que d'un cinéaste. Un geste de cinéma qui ne laisse pas indifférent en tout cas.
Prix du jury : Les feuilles mortes, Aki Kaurismaki
Excellent choix du jury. Le cinéma de Kaurismaki atteint ici un point d'équilibre proche de la perfection, entre ironie tendre, perfection plastique et rythme alerte. Le Finlandais célèbre le cinéma, l'obstination, l'optimisme et cette sombre magie qu'est l'amour. C'est beau.
Prix de la mise en scène : La passion de Dodin Bouffant, Tran Ann Hung
Avec une bonne dose de snobisme, beaucoup de critiques n'ont semblé juger ce film qu'à l'aune de son sujet, jugé ringard. Ils l'ont brocardé sur l'air du "Top Chef façon XIXème". Pour ma part, dès sa vision, j'ai été ébloui par la mise en scène souveraine de Tran Ann Hung, qui offre ici les plus beaux mouvements de caméra de tout le Festival, en particulier lors d'une scène de discussion dans la pénombre, qui est magnifique. C'est le prix parfait pour ce film, que j'ai beaucoup aimé pour son extrémisme anti-air du temps.
Prix du scénario : Monster, Yuji Sakamoto
Là encore, une décision logique, même si d'autres prétendants étaient possible, comme Les filles d'Olfa. Le scénario de Monster est d'une belle complexité, offrant une variation subtile autour de l'effet Rashomon, qui consiste à revoir plusieurs fois une même scène sous des angles différents. Mieux vaut ne rien savoir du tout de l'intrigue du film pour en profiter, car l'effet de surprise est encore plus grand.
Prix d'interprétation masculine : Koji Yakusho, Perfect days
C'était mon favori. Sa prestation dans le délicieux et étonnant film de Wim Wenders est d'une subtilité incroyable. Lors de l'antépénultième plan du film, un long gros plan sur son visage a arraché des larmes à plusieurs centaines de spectateurs dans les salles cannoises, dont votre serviteur.
Prix d'interprétation féminine : Merve Dizdar, Les herbes sèches
Sûrement le choix le plus surprenant du jury. Puisque Sandra Huller joue dans les deux films qui ont obtenu la Palme et le Grand Prix, elle ne pouvait pas, selon les règles du Festival, recevoir le prix d'interprétation qu'elle aurait mérité de l'avis de tous. Beaucoup d'autres actrices pouvaient donc prétendre à remporter la récompense : Léa Drucker dans L'été dernier, Alicia Vikander dans Firebrand, Julianne Moore ou Natalie Portman dans May December... Le choix de Merve Dizdar s'avère là aussi pertinent : il permet au film de Ceylan, un des plus beaux de la compétition, de ne pas repartir bredouille et il est vrai que le personnage féminin du film est de toute beauté.
Pour conclure, il s'agit sûrement du palmarès le plus malin et le plus cohérent de ces dernières années. En évitant les ex-aequos (ce qui est un exploit à Cannes), il récompense tous les films importants du Festival, en évitant une énorme injustice. Pour ma part j'aurais bien troqué The zone of interest contre Youth de Wang Bing ou Les filles d'Olfa de Kaouther Ben Hania, mais à ce détail près, je n'ai rien à redire aux choix effectués.
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