Gazette du Festival des 3 continents 2020
21 novembre
Premier jour du Festival en direct de mon canapé, via le site Festival Scope. Mon voyage commence à Lagos, avec le joli film Eyimofe (This is my desire) (4/5) de Arie et Chuko Esiri. On suit un homme qui veut partir en Espagne, et une jeune femme, qui souhaite rejoindre l'Italie avec sa soeur enceinte. Le film est sobre et convaincant, doté d'une photographie qui magnifie les couleurs africaines. Le tableau de la vie dans la capitale nigériane est prenant. Une réussite qui a écumé les festivals du monde entier cette année (Berlin, Londres, Vienne, Sao Paulo) et marque sans conteste l'avènement de deux réalisateurs d'importance.
Le Festival propose, lors de séances publiques sur Festival Scope, une rétrospective de plusieurs films qui ont marqué son histoire en remportant la plus haute récompense. J'enchaîne donc avec Les derniers jours d'une ville (3/5) de l'égyptien Tamer El Saïd, Montgolfière d'Or 2016. Il s'agit d'une fiction qui se donne tous les aspects de l'auto-fiction. On suit un cinéaste qui ne parvient pas à terminer un film, alors que sa mère se meurt et que sa copine quitte l'Egypte. Très construit, ce film élégiaque et mélancolique, dont la fabrication s'est étendue sur dix ans, est un beau portrait du Caire, saisi juste avant le printemps arabe.
En soirée, je retrouve le prolifique Hong Sang-Soo,pour la Montgolfière d'Or 2014, Hill of freedom (4/5). Le film est de l'essence de HSS à l'état pur : 66 minutes de marivaudages rohmérien teintés de métaphysique et générant une infinité de réflexion sur la vie et le cinéma, le tout dans un style hyper-minimaliste.
22 novembre
Direction l'Argentine pour le premier film de la journée, en compétition. Le documentaire Las ranas (1/5) nous fait découvrir le quotidien d'une jeune femme qui rend visite à son gars en prison. C'est glauque et très cru, assez pauvrement mis en scène, et sans grand intérêt. Le réalisateur, Edgardo Castro, est un des acteurs du film fleuve La flor.
Fin du week-end en Azerbaïdjian, avec un autre des films en compétition : Bilesuvar (2/5) d'Elvin Adiguzel. On suit successivement l'itinéraire de cinq personnes qui n'intéragissent pas entre elles. Cette succession de vignettes dessine un tableau de la vie dans ce district reculé d'Asie Centrale, à travers les rêves et les difficultés rencontrés par chacun. Le film, sans démériter (belle image et acteurs attachants), ne parvient toutefois pas à captiver, du fait du caractère anecdotique de ces tranches de vie.
23 novembre
Montgolfière d'or (et Léopard d'or à Locarno) 2015, Kaili blues (4/5) mérite sans conteste son statut de film culte.
Le premier film de Bi Gan commence comme beaucoup de films chinois contemporains : un réalisme grisâtre, une narration assez peu alerte et légèrement déstructurée. La première partie est donc est assez quelconque, même si l'intérêt est maintenu par des plans intrigants (qu'on comprendra plus tard être des flashbacks) et certaines incises poétiques foudroyantes de beauté (un train qui surgit dans un appartement miteux, une horloge dessinée dont les aiguilles se mettent à tourner). Et tout à coup, un plan séquence de 41 minutes surgit, incroyable voyage initiatique dans le temps et l'espace, préparé par la première heure du film. Ce procédé, d'une beauté sidérante, sera repris avec encore plus de maestria dans son deuxième film, le splendide Un long voyage vers la nuit. Il est rare d'avoir aussi nettement la sensation d'assister à la naissance d'un cinéaste majeur.
25 novembre
Ce soir j'ai regardé Days (2/5) de Tsai Ming-Liang, qui n'est pas sorti en salle (on comprend pourquoi) et n'a été visible que sur Arte.
Le cinéaste taïwanais pousse ici à ses extrémités son cinéma, de plus en plus en intellectuel. Days est une succession de très longs plans fixes montrant souvent des personnages immobiles, dépouillé de tout enjeu narratif, totalement muet, exposant deux solitudes qui vont se croiser le temps d'un rapport sexuel tarifé. Le film durerait probablement de l'ordre de dix minutes, si chacun de ses plans était "normal" : il constitue donc un exercice (un peu vain) d'étirement d'une durée aléatoire. Le résultat n'est pas totalement inintéressant, mais relève plus de l'art contemporain que du cinéma. Contrairement à nombre de critiques, je n'ai ressenti aucune émotion en le regardant et si certains plans sont très beaux, je trouve que c'est loin d'être le cas de tous. Une expérience qui nécessite patience et sous-textes.
28 novembre
Très joli documentaire vu aujourd'hui : Makongo (4/5), d'Elvis Sabin Ngaibino. Le film, très doux, suit deux pygmées de République Centrafricaine, André et Albert, qui vendent des chenilles comestibles au marché de Bangui pour financer l'inscription à l'école d'enfants de leur village.
Tout est agréable dans ce film : le découpage resserré, la mise en valeur de la personnalité si attachante des deux personnages principaux, la beauté des images, l'intensité de certaines scènes (le décès du bébé, les premières leçons, le tirage au sort final), la violence du racisme dont semblent victimes les pygmées. Il faut espérer que le film trouve le chemin des salles, ce qui n'est pas certain.
29 novembre
Découverte d'un futur grand réalisateur, le mongol Byamba Sakhya, dont j'ai pu voir aujourd'hui le très bon Bedridden (4/5), en compétition.
Le film est d'abord d'une beauté époustouflante, avec son noir et blanc très contrasté, sa mise en scène maîtrisée, et ses acteurs et actrices très cinégéniques. Le propos du film, dans ses dialogues comme dans l'entrelacement des histoires, rappelle la distanciation de Hong Sang-Soo, avec ici en plus un talent spécifique à créer des ambiances très différentes suivant les époques et les milieux sociaux.
Une réussite majeure qui en appelle d'autres.
Palmarès 2020
Deux montgolfières d'or ex-aequo décernées cette année. La première décernée au film coréen Moving on, de la coréenne Yoon Dan-Bi, précédé d'une très flatteuse réputation depuis sa projection au festival de Busan. La seconde au documentaire Zero, de Kazuhiro Soda, un documentaire sur le départ en retraite d'un psychanalyste.
Une mention spéciale a été attribuée à l'affreux Las ranas, dont je disais le pire ci-dessus.
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