Journal de Cannes 2017
27 mai
Dernier jour, qui commence en douceur avec le rattrapage d'un documentaire présenté en sélection officielle (mais hors compétition), Demons in paradise (3/5). Le film revient sur le guerre civile au Sri Lanka, et plus spécialement sur la lutte sanguinaire entre les différentes factions tamoules. C'est basé sur des témoignages de protagonistes qui reviennent sur les lieux des exactions. Intéressant.
Je reviens en compétition pour You were never really here (5/5) de Lynn Ramsay, qui sortira finalement en France sous le titre A beautiful day. Le film n'est pas très original par son propos (un justicier urbain tente de sauver une petite fille d'un réseau pédophile), mais l'est par sa mise en scène d'une beauté et d'une intelligence admirable. Joaquin Phoenix y est sidérant d'intériorité.
Fin de Festival avec une montée des marches en grande tenue. Le dernier Polanski, D'après une histoire vraie (1/5), est malheureusement raté à tout point de vue. L'interprétation d'Eva Green est particulièrement mauvaise. A oublier.
Merci de m'avoir suivi jusqu'au bout, et à l'année prochaine !
26 mai
L'un des chocs de ce Festival sera à coup sûr Patti Cake$ (4/5), film de clôture de la Quinzaine, avec lequel je commence la journée. Le réalisateur Geremy Jasper décrit la vie quotidienne des classes défavorisées du New Jersey, à travers le désir d'une jeune fille (blanche et en surpoids) de devenir une star du rap. C'est le parfait feel-good movie de fin de Festival. Un délice.
Je reviens ensuite dans la compétition, avec pour commencer In the fade (3/5) de Fatih Akin. Diane Kruger joue avec un talent incroyable une femme dont le mari et le fils sont tués dans un attentat : prix d'interprétation féminine en vue ! Sinon, le film, sous des dehors un peu pépère, est plus subtil qu'il n'y paraît : il nous conduit de nombreuses fois à changer d'opinion sur ce qu'on voit. Un film rudement efficace en matière de suspense psychologique.
A la suite, la montée des marches de 19h pour le Ozon, L'amant double (2/5). Ozon essaye de faire son Hitchcock et son Cronenberg à la fois, mais comme il n'a pas la précision du premier, ni le caractère malsain du deuxième, le résultat est couci-couça, propre sans être convaincant. J'ai eu un peu de mal à m'impliquer dans l'histoire, et n'ai pas vraiment été surpris par sa conclusion. Le film est loin d'être aussi transgressif que ce que le bouche à oreille en disait.
25 mai
Double shot à la Quinzaine ce matin. I'm not a witch (4/5) de la jeune zambienne Rungano Nyoni est un très joli premier film, qui traite avec beaucoup de subtilité du sujet des sorcières en Zambie, à travers le regard d'une enfant. De l'humour et de très belles images, un candidat sérieux à la Caméra d'Or.
Dans un genre totalement différent, Bushwick (3/5) de Cary Munion et Jonathan Milott, flirte avec la série B. On suit une héroïne plongée brutalement dans une véritable guerre civile en plein Brooklyn, entre une armée de miliciens et la population. Le sous-texte politique est permanent et les quelques traits d'humour rendent le film plutôt sympa. C'est une production Netflix, qui ne sortira donc pas en salle.
Retour à la compétition à 16h avec la montée des marches de Une femme douce (3/5), de Sergei Loznitsa. C'est long, c'est lent, c'est superbement filmé, c'est russe au possible et c'est sûrement le film le plus ambitieux de la compétition. Sans être ébloui, je trouve qu'il a une densité et une profondeur unique. La fin, critiquée par quelques cinéphiles, me semble éclairer toute la première partie d'une autre lumière. Fait assez rare, le film s'est fait hué par une partie du public.
Pour finir en douceur sur la belle terrasse qui mène à la salle du soixantième, 12 jours (3/5), de Raymond Depardon. Le film, modeste, s'intéresse au sort de malades dans un hôpital psychiatrique de Lyon. C'est toujours intéressant un Depardon, même si ici le sujet est assez anecdotique. A trois places de la mienne, Vincent Lindon et Clothilde Hesme.
24 mai
Petite journée aujourd'hui, consacrée à la Quinzaine. La defensa del dragon (2/5), de la jeune réalisatrice colombienne Natalia Santa, est le prototype du film du Sud : des plans fixes uniquement, un développement narratif lent. Il s'agit de tirer le portrait de trois hommes mûrs unis par la passion des échecs et qui éprouvent des difficultés dans leurs relations sociales. Pas sûr que ce film trouve le chemin des salles.
Plus tard dans la journée, je retourne dans la salle de la Quinzaine un peu au hasard, après avoir échoué à Un certain regard, et je découvre un objet filmique bizarre et exaltant : Nothingwood (4/5), un documentaire de Sonia Kronlund. Nothingwood fait référence à Bollywood, mais il s'agit ici de faire du cinéma avec... rien. Il suit sur un tournage le personnage haut en couleur qu'est Salim Shaheem, une star afghane qui a tourné 110 films avec des bouts de chandelles, dans un style inimitable, qui doit beaucoup au cinéma indien. Le film parle aussi de l'Afghanistan d'aujourd'hui. La leçon de vie qu'il propose (le cinéma contre la terreur) est formidable, et quand un des acteurs nous dit après la projection qu'il est prêt à mourir pour le cinéma (et ce n'est pas en l'espèce une figure de style), on est sidéré par la force du média qu'on célèbre ici à Cannes.
Le reste de la journée est consacré à accueillir ma petite famille et à essayer de nous faire tous entrer au GTL pour le film de Sofia Coppola, entreprise dans laquelle nous échouons d'un cheveu.
23 mai
Aujourd'hui un seul film vu en compétition, Vers la lumière (2/5) de Naomi Kawase. Après un début intéressant centré sur un personnage qui fait les commentaires audio pour aveugle sur les films, Vers la lumière sombre progressivement dans les travers contre lesquels Kawase doit toujours lutter : la mièvrerie et le délitement du scénario.
Heureusement, j'enchaîne immédiatement à Un certain regard avec le premier film d'une jeune française, Léonor Serraille, tourné avec une équipe technique essentiellement féminine et une actrice extraordinaire, l'incroyable Laetitia Dosch. Le film s'appelle Jeune femme (4/5), et il a tout pour devenir culte et emblématique d'une génération : humble, en prise directe avec le réel, bourré d'énergie, électrisant et férocement féministe. Un régal.
Du coup, je reste salle Debussy pour un autre premier film, italien cette fois-ci : Après la guerre (2/5) de Annarita Zambrano. Le film revient sur le moment où les terroristes italiens d'extrême-gauche protégés par Mitterrand ont été soudain remis à disposition de la justice italienne en 2002. C'est appliqué et proprement fait, mais après 22 film en 6 jours, j'ai besoin d'être empoigné par les films que je vois, et ce n'est pas le cas ici.
Quatrième et dernière séance de cette sixième journée, encore un italien, de la Quinzaine cette fois. L'intrusa (3/5) de Leonardo di Costanzo. Comme A ciambra (voir au 20 mai), L'intrusa possède un fort caractère documentaire. De Calabre on passe à Naples, dans une institution qui accueille les enfants défavorisés. La directrice va être confrontée a un véritable cas de conscience quand un membre de la camorra va être découvert dans ses locaux. Le film est admirablement réalisé dans une veine très naturaliste.
22 mai
Journée en grande partie dédiée à la compétition. The killing of a sacred deer (4/5), ne plaira pas à tout le monde, c'est sûr. Le nouveau film de Yorgos Lanthimos (The lobster) est une sorte de mix entre tragédie grecque, film d'horreur, thriller métaphysique et exposition de la cruauté façon Haneke. Moi j'ai mordu au dilemme que propose le film, et j'ai trouvé la réalisation époustouflante, bien que glaciale.
J'enchaîne avec le nouvel Haneke, Happy end (1/5) qui est d'après certains (peu nombreux sur la Croisette) sa somme, et pour d'autres (dont moi) son plus mauvais film. C'est pauvre en cinéma, ça sonne terriblement creux et ce n'est même pas dérangeant. Haneke se cite lui-même en faisant dire à Trintignant qu'il a étouffé sa femme il y a trois ans : ça sent le sapin pour l'autrichien. La troisième Palme d'or semble inacessible.
Troisième film en compétition à la suite : Le jour d'après (2/5) de Hong Sang-soo. La petite musique du coréen est ici réduite à sa plus simple expression. Aucune recherche ludique ou formelle comme dans la plupart de ces derniers films. Du coup, j'ai trouvé qu'il ne restait plus grand-chose : le film se résume à quelques conversations autour d'une table où on absorbe beaucoup de soju. De plus, il est construit sur la base de distorsions chronologiques qui ne facilitent pas la compréhension de ce qu'on voit. La critique française semble cependant beaucoup aimer.
Dernière séance plaisir avec la projection du nouveau film d'André Téchiné, Nos années folles (4/5). Le film, très qualité française dans sa forme, se révèle parfaitement subversif dans son sujet, sur lequel je vous conseille d'en savoir le moins possible. Un moment de cinéma à l'ancienne qui fait du bien. Assis aux côtés de Téchiné, les actrices qui ont compté pour lui, une brochette ahurissante comprenant Catherine Deneuve, Juliette Binoche, Isabelle Huppert, Emmanuelle Béart, Elodie Bouchez et Sandrine Kiberlain. Ajoutez que dans la salle se trouvaient aussi Lambert Wilson, Claude Lelouch, Bérénice Bejo, Nicole Garcia, Gilles Jacob, Michel Hazanavicius et John Cameron Mitchell, et vous aurez une petite d'idée de l'aura dont bénéficie Téchiné.
21 mai
Premier film de la compétition ce matin, qui est la deuxième production Netflix après Okja, et que vous ne verrez donc pas en salle : The Meyerowitz stories (2/5) de Noah Baumbach. Etats d'âme, conflits familiaux et égos en péril dans le milieu aisé new-yorkais : Baumbach continue à inscrire ses pas dans ceux de Woody Allen, le talent en moins. C'est oublié aussi vite que c'est vu.
Je glisse en salle Debussy pour Un Certain Regard et Before we vanish (3/5) le nouveau film du prolifique Kiyoshi Kurasawa. Des extra-terrestres débarquent sur Terre pour nous voler nos concepts puis nous envahir. Extraordinairement captivant au début, le film tombe dans la deuxième partie dans des biais (des effets trop appuyés, une mauvaise utilisation des effets spéciaux, une certaine mièvrerie) qui malheureusement gâche un peu mon plaisir de retrouver le réalisateur en bien meilleure forme que dans Le secret de la chambre noire. Le film est tout de même très intéressant par son mélange de rationalité et de poésie, et par sa réflexion sur la nature humaine.
Ce début de journée en demi-teinte est heureusement effacé dans l'après-midi par le très réjouissant How to talk to girls in parties (4/5) du trublion John Cameron Mitchell (Shortbus). Cette adaptation d'une nouvelle SF de Neil Gaman est parfaite au premier tiers du Festival : du rythme, des couleurs, du romantisme sans niaiserie. Un film punk explosif et jouissif. J'assiste à la montée des marches en direct de la salle : Nicole Kidman et Elle Fanning ont l'air complices, et le réalisateur porte une veste rouge admirable.Toute l'équipe du film se marre bien.
Fin de journée à la Quinzaine avec Otez-moi d'un doute (3/5) comédie française sans prétention de Carine Tardieu, sensible, bien faite et bien jouée (par Cécile de France et François Damiens notamment). On rit et on réfléchit simultanément, c'est le signe d'une comédie réussie.
20 mai
La journée commence en compétition avec 120 battements par minute (3/5) de Robin Campillo, qui décrit les années SIDA à travers quelques destins individuels de militants d'Act Up - Paris. C'est visiblement documenté, très sagement réalisé, et un brin didactique. Alors que je pleure généralement facilement au cinéma, le film ne m'émeut curieusement pas plus que ça. Je m'attendais à plus original de la part de Campillo (à l'origine des Revenants). Un plan toutefois est absolument magique : celui de la Seine ensanglantée. Les échos sur la Croisette place le film en favori de la compétition.
J'enchaîne ma deuxième séance en compétition grâce à un membre d'une société de prod qui travaille pour Amazon et me donne une invitation pour The square (2/5) de Ruben Ostlund. Le film est basé sur le même principe que Snow therapy : un évènement initial et ses multiples conséquences mettent en évidence nos petitesses, hypocrisies et autres lâchetés. J'ai trouvé toutefois le film moins tenu que son prédécesseur, plus brouillon. Il mériterait aussi d'être sérieusement raccourci. Quelques moments plaisants tout de même, comme la performance du dîner, ou la scène du préservatif.
Je passe ensuite à la Semaine de la Critique, pour voir le film évènement : Ava (4/5) de Léa Mysius. On compare beaucoup le film à Grave, présenté l'année dernière : ce sont deux premiers films français réalisés par des jeunes femmes, et mettant en scène des jeunes femmes. Ava est pourtant un peu moins maîtrisé que Grave en terme de mise en scène, mais aussi plus chaleureux. La jeune actrice Noée Abita est absolument renversante, en jeune fille qui devient aveugle en même temps qu'elle devient femme. Les dialogues percutants rendent le film très attachant. Une réalisatrice de plus à suivre de près, et un film qui va plaire.
Dernière section visitée aujourd'hui : la Quinzaine. A Ciambra (5/5), de Jonas Carpignano, est une plongée en apnée dans la communauté gitane calabraise. C'est beau, riche, parfois vertigineux tellement c'est réel (A ciambra est le résultat d'un travail de sept ans avec la famille qu'on voit à l'écran). Après le strass des marches ce matin (Will Smith m'a pratiquement marché sur le pied), la discussion avec Jonas Carpignano dans l'atmosphère feutrée du Studio 13 m'a projeté dans un autre monde. C'est aussi ça, la magie de Cannes.
19 mai
Le début de journée commence par un quiproquo, lors de projection de Okja (4/5), le film de Bong Joon-Ho produit par Netflix. Il y d'abord des huées et des sifflets pour protester contre le fait que Netflix ne sortira pas le film en salles, puis la bronca perdure... mais parce que l'écran est tronqué sur sa partie supérieure du fait d'un problème technique. Cela donne sur les réseaux sociaux des bêtises du genre : "Les opposants à Netflix arrêtent le film", etc. D'abord absolument superbe et inventif dans sa partie coréenne, Okja devient ensuite un produit beaucoup plus formaté et lourdaud quand l'action de déplace aux USA.
J'enchaîne avec le deuxième film en compétition, Jupiter's moon (3/5) de Kornell Mundruczo, en orchestre, juste à côté du jury au grand complet : Paolo Sorrentino arrive le premier, Almodovar tape ses SMS avec un doigt, Jessica Chastain fait la bise à tout le monde et Park Chan-Wook à personne. Le film est un curieux mélange de réalisme forcené, de critique sociale à la Mungiu, et de film d'action américain. Il y est aussi question d'un migrant qui lévite. Intéressant, même si imparfait.
A 16h, énorme plaisir avec la projection de Visages Villages (5/5) d'Agnès Varda et JR. Le film est intelligent, malicieux, émouvant, bienveillant : c'est un plaisir absolu, qui permet en plus de découvrir dans le détail le passionnant travail de JR. Enorme ovation pour Agnès Varda avant et après le film.
En soirée, je rattrape le film en compétition de hier que je n'ai pas vu : Loveless (5/5) d'Andrey Zvyagintsev. Le film porte bien son nom : il est dur, tendu et sec. Loveless n'a pas la richesse narrative et la variété de ton qu'avait son prédécesseur, l'excellent Léviathan, mais il recèle quelques plans exceptionnels qui méritent le déplacement. Zvyagintsev est un formaliste hors pair, la photo du film est splendide.
18 mai
La journée commence bien avec le premier film en compétition, Le musée des merveilles (Wonderstruck) (5/5) de Todd Haynes. Ses films précédents (Loin du paradis, Carol) ne m'avaient pas convaincu. Je les trouvais froids et désincarnés. On retrouve ici la virtuosité de la mise en scène, mais cette fois au service d'un scénario brillantissime. On dirait que toutes les fées du cinéma se sont penchées sur ce film. Il est quasiment impossible de ne pas pleurer dans la dernière demi-heure.
Forcément, après une telle entame, difficile d'apprécier pleinement ce qui suit. Western (3/5) de l'allemande Valeska Grisebach, présenté dans la section Un Certain Regard, est intéressant, quoiqu'un peu paresseux. On suit un groupe d'ouvriers allemands qui construisent un barrage au fin fond de la Bulgarie et se frottent à la population locale. C'est produit par Maren Ade (Toni Erdmann), et ça se sent. Le film présente des points communs avec celui de Ade (une sorte de causticité froide, des réflexions quasi-métaphysiques qui surgissent de problèmes très pragmatiques), mais en moins bien.
Après avoir fait la queue 1h45 pour rien à la Semaine, je termine la journée avec Sea Sorrow (1/5) de l'actrice Vanessa Redgrave. Le film parle de façon très polie du problème des réfugiés en Europe et décrit plus spécifiquement l'action de Redgrave et ses amis au Royaume-Uni. Le sujet est estimable, le traitement très mauvais. Le spectacle est plutôt dans la salle puisque sont voisines juste derrière moi Sandrine Kiberlain, Elodie Bouchez et Sandrine Bonnaire, toutes membres de différents jurys (meilleur documentaire et Caméra d'Or).
Commenter cet article