Cannes 2016 : bilan de la compétition
Palmarès
Cette année, le jury présidé par Georges Miller a semblé dénué de tout sens de l'humour, écartant les films ayant enthousiasmé la critique sur la Croisette par leur originalité et leur ton subversif. Aucun prix donc pour l'excellent Toni Erdmann de Maren Ade, le furieux Elle de Paul Verhoeven et l'excentrique Ma Loute de Bruno Dumont.
Ce n'est pas que les choix effectués soient complètement aberrants. La Palme à Moi, Daniel Blake, de Ken Loach n'est pas complètement illégitime : le film est bouleversant.
Mais récompenser Mungiu et Assayas pour la mise en scène, Farhadi pour le scénario et l'interprétation masculine, c'est finalement proposer une vision étriquée du cinéma, dans laquelle les films ne sont certes pas mauvais, mais "sérieux" et construits sur un même modèle. Quant au Grand prix octroyé à Juste la fin du monde, plutôt une médiocre réalisation du jeune québécois, c'est aussi une sorte de néo-conservatisme : Dolan fait désormais partie des meubles (et il ne lâchera rien tant qu'il n'aura pas eu la Palme !).
Vous noterez par ailleurs que tous les réalisateurs récompensés ont déjà reçu un prix à Cannes : le renouvellement que représentaient cette année Maren Ade ou Kleber Mendonça Filho (Aquarius) n'est pas du tout encouragé.
La seule lueur d'originalité dans le Palmarès est le prix du jury donné à Andrea Arnold pour American Honey, c'est bien peu.
Un jury qui, cette année, n'était pas au niveau de la sélection.
Des femmes de caractère
Peut-on trouver une ligne directrice dans les 21 films en compétition ? Il me semble que oui : les femmes étaient sacrément présentes cette année, et avec de drôles de caractères.
Prenez Michèle (Isabelle Huppert) dans Elle : dévoreuse d'hommes et de femmes, victime puis bourreau, rien ne semble résister à sa force et à ses pulsions, y compris sexuelles. On peut dire la même chose des deux héroïnes de Mademoiselle, du coréen Park Chan-wook, qui finissent par venir à bout des hommes qui les maltraitent, et nous offrent... le seul 69 de cette 69ème édition.
Continuons notre examen. Dans Aquarius, Sonia Braga joue une femme libre qui résiste aux forces masculines qui tentent de la déloger de son appartement - et qui ne cède là encore rien à sa libido. Les femmes cannibales de Winding Refn (The neon demon) se mangent entre elles, alors que dans American Honey, la chef de gang est une fille. Dans le film d'Andrea Arnold, c'est la formidable Star, jouée par Sasha Lane, qui capte toute la lumière et s'oppose frontalement à la façon de faire de Jake, prototype du mec baratineur. Chez Guiraudie, Rester vertical, la femme abandonne carrément son bébé, l'instinct maternel n'est même plus sacré ! Chez Maren Ade (Toni Erdmann), la jeune cadre dynamique jouée par Sandra Hüller est certes malheureuse, mais elle n'hésite pas à asservir son copain dans le cadre d'un jeu érotique vraiment bizarre.
Même dans les drames psychologiques un peu corseté, les personnages féminins sont plus intelligents. Dans Le client d'Asghar Farhadi, c'est la femme agressée qui veut pardonner à son agresseur, contre l'avis de son mari, alors que dans Bacalaureat, de Cristian Mungiu, la fille ne suit pas le conseil de son père et fait preuve d'une belle indépendance d'esprit, alors que la mère dépressive s'avère fort pertinente dans ses avis.
Plus discrète, l'héroïne de Loving, Mildred, jouée par la formidable Ruth Negga, prend en main les rênes de la contestation et est la véritable héroïne de l'histoire. Dans Juste la fin du monde, c'est le personnage de la mère (Nathalie Baye), certes un peu fofolle, qui prodigue les conseils de communication les plus avisés, que s'empresse de suivre Louis.
Chez les Dardenne (La fille inconnue), Adèle Haenel se montre obstinée et parvient seule à élucider une sombre affaire. C'est ce que tente aussi Kristen Stewart dans un genre très différent chez Assayas (Personal shopper), alors que l'héroïne de Mal de pierres tient toute la structure du film sur ses épaules de fille un peu fêlée.
Même la Palme d'or, Moi, Daniel Blake impose à côté du beau personnage joué par Dave Johns un personnage féminin très puissant joué par l'excellente Hayley Squires. Chez Almodovar (Julieta), les hommes semblent réduits à de frêles accessoires, comme chez Mendoza (Ma'Rosa), dans lequel on voit l'actrice Jaclyn Jose (prix d'interprétation féminine) tenir sur ses solides épaules les destinées de toute sa famille.
2016, c'était l'année des fortes femmes.
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