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Interview de Sepideh Farsi

©Renaud Monfourny

©Renaud Monfourny

Je vous propose aujourd'hui une rencontre avec la réalisatrice du très beau Red Rose (lire ma critique).

 

Red Rose a été en tourné en Grèce avec des acteurs iraniens : comment le casting s'est-il déroulé ?

A partir du moment où Javad Djavahery m'a proposé le projet, je savais que je ne pouvais pas tourner en Iran, mais mon souhait était de tourner avec des acteurs iraniens, en langue persane. Cela m'a pris beaucoup de temps pour trouver de bons acteurs iraniens, qui correspondaient aux personnages, qui vivaient à l'extérieur de l'Iran, et qui acceptaient de ne pas pouvoir y retourner après avoir tourné avec moi.

J'ai donc cherché parmi les acteurs de la diaspora, aux Etats-Unis et en Europe. J'ai d'abord trouvé Mina Kavani. Je l'avais croisé il y a quelques années en Iran, et puis je l'avais perdu de vue. On m'a dit qu'elle terminait le Conservatoire d'art dramatique à Paris. D'emblée elle m'a semblé correspondre au personnage.

Vassilis Koukalani est gréco-iranien. J'avais décidé de tourner à Athènes avant d'avoir mon personnage masculin. Quand je suis parti à Athènes en repérage, mon producteur grec nous a présenté, j'ai fait des tests avec Mina et Vassilis, et c'était probant.

Et puis il y a Shabnam Tolouei, qui joue l'amie d'Ali, qui est une grande comédienne iranienne que je connaissais avant, exilée à Paris depuis quelques années. L'agent immobilier et l'autre jeune femme, Mehri, sont de jeunes comédiens qui vivent à Paris. Javad Djavahery, qui est le co-scénariste du film, fait sa première apparition à l'écran dans le rôle de monsieur Amini.

Pourquoi avez-vous décidé de tourner à Athènes ?

Athènes me rappelle Téhéran : la proximité de la montagne, la lumière, l'anarchie architecturale, le chaos urbain. D'autre part, politiquement, cela me semblait cohérent de tourner en Grèce. La situation de la Grèce depuis quelques années fait que les Grecs pouvaient mieux comprendre certaines choses que je voulais exprimer dans le film, même si la situation de l'Iran et de la Grèce ne sont évidemment pas comparables.

Et c'était important pour moi car à part les comédiens, le reste de l'équipe du film est grecque, hormis quelques conseillers iraniens, qui ne sont d'ailleurs pas cités dans le générique pour des raisons de sécurité.

Les petits films tournés avec des téléphones portables sont glaçants : je pense notamment à l'un d'entre eux, où l'on voit un véhicule rouler sur un corps. Comment les avez vous trouvé ? 

On les trouve sur YouTube. Une des particularité du mouvement vert en 2009 en Iran, c'est que quand le régime a mis dehors en 48 heures tous les journalistes étrangers, il n'y avait plus personne pour couvrir les évènements. Les manifestants se sont donc mis à filmer, avec leur téléphones portables et à diffuser ces images sur les réseaux sociaux. 

Je suis rentré d'Iran une semaine avant les élections et j'étais donc à Paris au moment des élections, et comme beaucoup d'iraniens, relayer les infos était une façon pour moi de soutenir le mouvement. Même les grands média étrangers diffusaient ces images, parce qu'il n'y en avait pas d'autres.

A l'époque déjà, j'avais téléchargé plusieurs vidéos pour me constituer une archive perso, et quand j'ai décidé de faire le film, j'en avais donc déjà une partie. Et j'ai décidé de garder ces images brutes, malgré leur faible qualité technique, à cause de l'énergie qu'elles véhiculent.

Le moment auquel vous faites allusion a été filmé en décembre 2009 lors d'une des dernières grandes manifestations. Les forces de l'ordre étaient alors très violentes. C'était une journée noire.

La différence de technique entre les deux types d'image est au service de la narration...

Exactement, cela contribue à accentuer le contraste extérieur / intérieur et le fossé générationnel entre les deux personnages.

Le personnage d'Ali évolue tout au long du film, celui de Sara est plus stable : c'est une jeune femme qui sait ce qu'elle veut et qui n'a pas froid aux yeux. Vouliez-vous signifier que les hommes sont le passé de l'Iran et les femmes son avenir ?

Les jeunes femmes ont des velléités à réclamer les libertés qu'on leur a prises, peut-être plus encore que les hommes. En ce sens on peut dire que les jeunes de cette génération, qui n'ont jamais connu la guerre, ni même aucun autre mouvement de contestation, sont débridés et avides de liberté, peut-être plus particulièrement les femmes.

Au début du film, on a un doute sur les buts que poursuit réellement Sara. C'est volontaire ?

Oui. C'est inhérent à ce genre de contexte. Dans le climat de surveillance généralisé qui règne en Iran et plus particulièrement dans des moments insurrectionnels comme celui-là, tout peut arriver. Quand Ali ouvre sa porte à des inconnus, il peut avoir des inquiétudes. Il y a beaucoup d'histoires qui circulent en Iran sur des personnes qui auraient accueilli des manifestants et qui auraient été repérées ainsi.

Il y avait une volonté de ma part d'instiller le doute au départ. A-t-elle fait exprès de laisser son téléphone, oui ou non ? Probablement que oui, mais dans quel but ? Le spectateur avance avec ce doute pendant un certain temps. Mais les choses se clarifient ensuite. On voit que Sara est une véritable activiste et qu'il y a une vraie rencontre entre elle et Ali.

Le titre, Red rose, a-t-il une signification particulière ?

Le titre était là dès l'écriture du scénario. Il est inspiré de la fameuse vidéo de la manifestation du 17 juin 2009, qu'on voit dans le film, où Zahra Rahnavard (l'épouse de Mousavi) brandit une rose rouge. Il y a aussi un clin d'oeil... à l'espoir, et à un certain romantisme révolutionnaire.

Vous parlez de romantisme. Diriez vous que la rencontre des deux personnages est plus sensuelle que romantique ?

Oui et non. La relation d'Ali et Sara est multi facettes. Il y a un aspect plus physique par moment qui vient de Sara, personnage plus radical du fait de sa génération. Elle ne prend pas de gants, elle fonce. Dans d'autres moments, quand ils fument et écoutent de la musique, c'est presque romantique, un des rares moments du film où une illusion de bonheur plane encore.

Est-ce que la chanson qu'ils écoutent présente une particularité ?

"Do ta cheshme siyah dari"... Oui. C'est une chanson de Bijan Mofid, dramaturge et metteur en scène très connu en Iran, mort en exil. La chanson parle beaucoup aux iraniens de ma génération et de celle d'avant. 

Quels sont vos projets ?

Je viens de finir un documentaire que j'ai tourné en Grèce.

Je finis d'écrire une fiction qui se passe également en Grèce, et qui parle de "l'autre" et de combien cet "autre" peut nous ressembler. L'histoire d'une rencontre entre un jeune réfugié syrien qui fuit la guerre et une femme flic grecque qui se bat pour sa survie. Je vais le tourner en 2016.

Il y a aussi un projet de film d'animation sur la guerre Iran-Irak, écrit par Javad Djavahery, et puis un troisième : un western bien déjanté. Qui sera probablement le premier western iranien !

 

Merci à Sepideh Farsi pour sa disponibilité et sa gentillesse.

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